Le nouveau Lycée de Saumur


R. BAUCHARD



Un arrêté ministériel du 30 décembre 1948 a transformé en lycée le collège de garçons de Saumur. Celui-ci a un passé glorieux, il est le continuateur du célèbre Collège de l'Oratoire qui, avec l'Académie protestante, a assuré à notre ville au XVIIe siècle un rayonnement exceptionnel. Les bâtiments du premier collège étaient situés au pied du Château ; ils furent démolis par l'artillerie en avril 1650, pendant les troubles de la Fronde. Louis XIV autorisa en 1652 l'achat par la ville de terrains pour construire un autre collège et, le 16 janvier 1656, les Echevins acquérirent de la Veuve Drugeaon l'hôtellerie de « L'Ecu de France » pour la somme de 14.800 livres. Le collège et ses dépendances occupaient l'espace compris actuellement entre les rues Beaurepaire et de la Fidélité. Son entrée principale était rue Daillé. En 1664, ce collège comptait trois cents élèves ; il cessa de fonctionner en 1780. La ville, de ce fait, ne possédait plus d'enseignement classique. Dans une savante étude, publiée en 1911, dans le cinquième bulletin de notre Société, M. le chanoine Uzureau nous donne des détails très circonstanciés sur la création du nouveau collège. Il rappelle les multiples démarches faites par la municipalité, le conseil d'arrondissement, et le conseil général pour obtenir le rétablissement dans notre ville d'un établissement d'enseignement secondaire. Le préfet de l'époque, Montault des Iles, fit au Ministère de l'Intérieur un rapport dont la conclusion était ainsi rédigée : « La Ville de Saumur se plaint avec raison du défaut d'enseignement dans lequel sa jeunesse languit depuis dix ans, et je me fais un plaisir, citoyen ministre, de vous présenter ses justes réclamations. N'est-il pas étonnant, en effet, qu'une ville qui compte de 10 à 12.000 habitants, qui est l'entrepôt d'un commerce considérable, qui renferme dans son sein plusieurs édifices nationaux et beaucoup d'hommes instruits, ne présente pas plus d'établissement d'éducation que le dernier village du département ; c'est-à-dire quelques instituteurs au dessous de leur état et sans considérations personnelles ! Quand on réfléchit que Saumur est éloigné d'un côté de 20 et de l'autre de 12 lieues d'une École Centrale ; qu'une très grande partie des départements qui possèdent de ces établissements sont moins intéressants et moins considérables que cette ville, on reconnaît sans peine la nécessité d'y créer une école centrale supplémentaire ou bien un collège où l'enseignement soit à peu près complet. Je livre ces réflexions à votre sagesse, citoyen ministre, et le recommande à toute votre attention ».
Tous ces efforts finirent par être couronnés de succès et un arrêté du 23 frimaire an XI créa une école secondaire de garçons qui, en i804, fut installée dans l'ancien couvent des Ursulines, cédé par l'Etat à la ville.
Ce couvent, de 1793 à 179O, avait servi d'hôpital militaire. Des aménagements furent apportés aux locaux conventuels ; mais c'est seulement en 1896 que les bâtiments de la façade actuelle furent construits par l'architecte saumurois Roffay. En 1884, M. Rigolage, alors principal du collège, prit l'heureuse initiative d'y annexer, avec l'autorisation du Ministère et de la Municipalité, un cours pratique d'industrie en vue de la préparation aux écoles des Arts et Métiers et aux carrières industrielles. En 1896, au départ de M. Rigolage, la ville de Saumur fit l'acquisition de l'École industrielle qui, au moment de sa création, était considérée comme une innovation hardie.
Le lycée actuel est mixte, sa direction comporte également celle de l'ancien collège municipal de filles. Ce dernier avait été construit en 1880 sur l'emplacement d'un vignoble, à l'endroit le plus élevé de la ville, à proximité du Jardin des Plantes. C'était un des premiers collèges de filles qui furent créés en France, en application de la loi du 22 décembre 1880, réglant l'organisation de l'enseignement secondaire des jeunes filles. L'emplacement avait été particulièrement bien choisi ; des cours et des jardins ont jouit d'une vue admirable sur la ville et la campagne ; le coût de la construction des bâtiments s'est élevé à près d'un million or.
Ce lycée mixte comporte plus de 1.300 élèves. La construction des nouveaux bâtiments, bien qu'encore inachevée, constitue l'un des ensembles les plus remarquables des établissements scolaires de toute la région ; de nouveaux bâtiments sont encore nécessaires, ils entraîneront la démolition de la partie vétusté du collège et du cloître de l'ancien couvent des Ursulines.
Ces très importants travaux sont dirigés par MM. Brunei et Marembert, architectes à Saumur, et membres de notre Comité. L'accès aux nouveaux bâtiments est assuré par un magnifique escalier d'honneur à double révolution. La décoration en a été confiée à un Saumurois, M. Robert Juvin, également membre de notre Société.
Le choix de cet artiste local a été particulièrement heureux ; ancien et brillant élève de l'École des Beaux-arts de Paris, Juvin obtint le prix National en 1953 et le prix Blumenthal en 1954 ; ses œuvres ont été particulièrement remarquées au salon d'automne, à ceux de la jeune sculpture, des artistes décorateurs et des arts sacrés. Signalons encore que notre compatriote a été chargé de la décoration des églises de Donges et de la Porte de Saint-Cloud à Paris.
Juvin possède un tempérament fougueux d'artiste rénovateur, il ne se contente pas de faire une maquette et de laisser le soin au praticien d'exécuter le travail, il reprend la tradition des sculpteurs du moyen âge, grands bâtisseurs des cathédrales qui opéraient eux-mêmes en [aille directe. Le moyen âge, en effet, est, pour Juvin, la grande époque de la sculpture ; celle-ci a perdu tout caractère national sous l'influence italienne de la Renaissance. Pour le lycée de Saumur, l'idée directrice donnée au sculpteur par les architectes était la suivante : « la pensée et l'action symbolisées par les gloires saumuroises ».
Robert Juvin a bien voulu nous confier comment et dans quel esprit il a traité l'œuvre importante dont il était chargé : ce J'ai voulu, m'expliqua-t-il, faire une sculpture qui soit adéquate à un établissement d'enseignement et qu'elle soit également typiquement saumuroise ; quoi de plus indiqué que de relater les grands faits de l'histoire et de l'art de notre province ». Robert Juvin me révéla, ce que j'ignorais totalement, que son premier soin fut d'étudier minutieusement l'Histoire de Saumur que j'avais publiée en 1941 et dont l'édition fut très vile épuisée ; cette étude terminée, il s'inspira des faits les plus saillants qui se sont déroulés depuis Jeanne d'Arc jusqu'à la dernière guerre. 
Il commença tout d'abord à esquisser sur les murailles une sorte de fresque et, avec le burin, il va lui-même faire la taille de la pierre, L'exécution de ces deux panneaux nécessita plus de six mois de travail acharné.
La décoration du côté gauche de l'escalier est plus spécialement consacrée aux faits marquants de l'histoire du saumurois. L'artiste donne une place d'honneur à la reine de Sicile, Yolande d'Anjou. On sait que son rôle, sur le plan national, a été capital ; après avoir arraché le Dauphin à l'indigne Isabeau de Bavière, Yolande le marie à sa fille et, jusqu'à sa mort, de toute son énergie, elle  soutiendra le faible Charles VII ; d'autre part, Yolande est la grande protectrice de Jeanne d'Arc, c'est elle qui a assuré les relais de Domrémy à Chinon, c'est elle qui l'a fait recevoir à la Cour et décidé le roi à croire à sa mission. Jeanne vint à Saumur remercier sa bienfaitrice. Aussi Juvin a-t-il placé Jeanne auprès de Yolande et de Charles VII ; à ses pieds se trouve le duc d'Alençon, prisonnier sur parole à Saint-Florent et qui prendra le commandement de l'armée pour « bouter les Anglais hors de France».
Un autre grand souvenir est évoqué, celui de Duplessis-Mornay qui fut gouverneur de Saumur pendant trente-deux ans et fondateur de la célèbre Académie protestante.
Signalons qu'en haut du panneau figure l'entrevue à Saumur de Louis XIV et Mazarin avec Turenne, ce dernier sacrifie sur l'autel de la patrie son amour pour la duchesse de Longueville, la belle ligueuse de Montreuil-Bellay, et il accepte de prendre le commandement des troupes royales dont la victoire assurera le rayonnement du grand siècle.
Un peu plus loin, Dupetit-Thouars est évoqué à son retour d'Amérique, lorsqu'il participe sur mer à l'expédition d'Égypte, il sauve l'honneur de la France à Aboukir ; sur son bateau. Le Tonnant, il lutte avec l'énergie du désespoir, alors qu'il a les jambes broyées et meurt à son bord en commandant à ses marins « de ne jamais amener le pavillon de la France ».
La résistance des Cadets est symbolisée par un cheval qui défend les ponts de notre ville, alors qu'à l'extrême droite un résistant, abat l'aigle nazi ; plus bas, une évocation de la vendange ; le vin savoureux de nos coteaux n'est-il pas également une des gloires du saumurois?
Le panneau de droite symbolise les Arts et les Lettres dans notre ville. Dans mon étude historique, j'avais consacré un chapitre entier au roi René « protecteur des Lettres et des Arts » ; sa lecture a incité Robert Juvin à faire une place d'honneur au bon roi ; il est entouré de deux génies qui l'inspirent. À ses pieds, se trouve Villon, le poète mauvais garçon ; il est en proie à l'obsession du bourreau qui est figuré près de lui. A ses pieds, pour rappeler la construction de nos belles églises angevines, on voit un sculpteur travaillant à décorer un chapiteau roman. Au milieu du panneau, Charles d'Orléans, le prince poète, semble lire l'une de ses œuvres évoquant le charme de la Loire. Tout près de lui, un jeune artiste symbolise les maîtres d'œuvre du château de Saumur dont il tient la maquette dans sa main droite. Le haut du panneau est consacré à l'évocation de l'Académie protestante et des écoles religieuses. Les temps modernes sont représentés par deux silhouettes : celle du Docteur Peton, restaurateur de nos monuments historiques ; et de celles de Balzac et d'Eugénie Grandet dont le roman a été conçu et, en partie, réalisé à Saumur.
Sans doute la présentation très personnelle de ces tableaux a pu surprendre certains visiteurs peu avertis à la fois de l'art médiéval, des symboles qu'il évoque et des faits de notre histoire locale. Cette couvre magistrale de Juvin n'est pas faite pour un simple coup d'œil rapide et superficiel, elle mérite une étude très attentive et commentée. Nous nous sommes efforcés de le faire lorsque, le dimanche 19 avril 1959, répondant à l'aimable invitation de M. le Proviseur, notre Société est venue visiter le lycée. Il m'a semblé qu'après cette présentation et un examen minutieux, nos collègues paraissaient tout disposés à se rallier au jugement porté sur notre artiste par l'éditorialiste de Masques et Visages. Sa conclusion sera la nôtre : « Juvin rappelle avec intensité les bâtisseurs de cathédrales et les primitifs, il en a la puissance et la tendre naïveté, car son art grandiose et sain est particulièrement émouvant, son œuvre rayonne de foi, elle est en plus animée d'un frisson moderne. Un grand sculpteur est né ».

Texte tiré de la revue de la Société des Lettre, Sciences & Arts du saumurois N° 109 de février 1960